La vraie-fausse menace de Donald Trump à l'encontre de la Russie

Faire la paix avec l'Ukraine sous 50 jours ou s'exposer à des "droits de douane secondaires" de 100% : le président américain fait spectaculairement monter les enchères pour faire plier Vladimir Poutine. Mais faire payer la Chine pour punir le Kremlin, est-ce une ambition réaliste ?

L'envers du globe
3 min ⋅ 17/07/2025

Je suis Thierry Arnaud, éditorialiste à BFMTV, ex-correspondant à New York et Londres, ancien chef du service politique de BFMTV et directeur de la rédaction de BFM Business. Crises géopolitiques, tensions économiques, recompositions du pouvoir… Chaque semaine, je vous propose de décrypter l’actualité internationale.

Faire payer la Chine pour mettre la pression sur la Russie, est-ce vraiment le meilleur moyen de Donald Trump de frapper le maître du Kremlin où cela fait le plus mal ? (Fred Dufou/AFP)

Contraindre la Russie à la paix en la privant de recettes pétrolières, un pari audacieux

“L’arme de la taxe douanière secondaire est-elle la bonne ? Cela ne marchera pas”, affirme Edward Fishman, ancien diplomate américain, spécialiste de l’étude des sanctions économiques

Frapper enfin la Russie où cela fait mal. Telle est clairement l’ambition affichée par Donald Trump, ce jeudi 14 juillet, lorsqu’aux côtés du Secrétaire Général de l’OTAN Mark Rutte, il annonce depuis le bureau ovale son intention d’instaurer des “droits de douane secondaires” de 100% appliqués aux pays qui continuent de faire commerce avec la Russie, en violation des sanctions internationales. Ces sanctions s’appliqueront au bout d’un délai de 50 jours, menace le président américain, si d’ici là Vladimir Poutine n’a pas conclu un accord de paix avec l’Ukraine.

Car Donald Trump ne peut que dresser un double constat. D’abord, la Russie et son président ont été jusqu’ici totalement insensibles aux pressions internationales de toutes sortes, et singulièrement aux pressions venues de la Maison Blanche. Certes, jusqu’ici sans parvenir à conquérir entièrement l’Ukraine, mais sans jamais relâcher leur effort de guerre. Ensuite, cet effort a été largement soutenu par des ressources qui ont largement échappé aux sanctions imposées depuis 2022, à commencer par les exportations de pétrole. Et si cette manne semble globalement décliner, elle rapporte toujours près d’une quinzaine de de milliards de dollars par mois à la Russie, alors que le budget de la défense est évalué à environ 150 milliards de dollars pour l’année en cours.

L’Inde et la Chine, premiers consommateurs de pétrole russe

Deux pays ont joué un rôle crucial dans cet effort de contournement. L’Inde importe désormais 40% de son pétrole depuis la Russie, contre environ 1% en 2022… À elle seule, la Chine absorbe près de la moitié des exportations russes de pétrole. La Turquie est également un client de premier plan. Mais l’Union Européenne ou le Japon pourraient également se trouver dans la ligne de mire de sanctions américaines s’appliquant à d’autre catégories d’importations, notamment au gaz naturel. 

En théorie, punir celui qui achète plutôt que celui qui vend pourrait avoir un impact beaucoup plus puissant que les sanctions appliquées jusqu’ici. Elles n’ont certes pas été sans effet. Un rapport récent du Foreign Office britannique évalue le manque à gagner pour Moscou s’agissant des seules recettes liées aux exportations de pétrole à 154 milliards de dollars entre février 2022 et juin 2025. Mais les multiples parades déployées par la Russie ont été efficaces: une “flotte fantôme” de plusieurs centaines de navires sous de multiples pavillons étrangers, des transferts de cargaison en pleine mer, le recours à des intermédiaires, à des devises autres que le dollar voire des cryptomonnaies…

L’arme de la “taxe douanière secondaire” est-elle la bonne ? “Cela ne marchera pas”, affirme Edward Fishman. Cet ancien diplomate américain, spécialiste de l’étude des sanctions économiques, estime que la menace de droits de douane de 100% appliquée à la Chine n’est tout simplement pas crédible, et donc inapplicable. Mais le principe de sanctionner le client demeure pertinent selon lui. Sa proposition ? Que les sanctions sont liées au niveau des importations (elles ne s’appliquent pas si les achats diminuent à un rythme régulier) et, surtout, les paiements se font sur des comptes bloqués, dont les fonds ne sont accessibles par la Russie que pour des dépenses à vocation humanitaire. Selon Edward Fishman, un tel système permettrait de punir efficacement la Russie sans trop secouer le marché pétrolier mondial. 

Le Congrès en embuscade

Mais c’est peut-être du Congrès des États-Unis que viendra le coup de massue des sanctions qui fera finalement plier la Russie. C’est en tous cas la conviction de deux sénateurs, le très influent républicain Lindsay Graham et le démocrate Richard Blumenthal, désormais soutenus par plus de 80 des 100 sénateurs américains pour faire adopter un programme de sanctions draconiennes - dont des droits de douane secondaires de… 500% appliqués au gaz et au pétrole russe. “Nous voulons arrêter la guerre cette année”, a résumé Lindsay Graham. 

Il lui reste à convaincre Donald Trump de frapper encore plus fort, un choix politiquement délicat à peine plus d’un an avant les élections de mi-mandat: ses électeurs ne sont pas prêts à payer leur essence plus cher pour sauver l’Ukraine.

Le chiffre

5,2%

La croissance chinoise résiste. À 5,2% pour le deuxième trimestre de l’année, elle est légèrement supérieure aux prévisions des économistes et en ligne avec l’objectif officiel d’une croissance de 5% pour l’ensemble de l’année. Mais le pari n’est pas encore gagné: la vigueur de la consommation, soutenue jusqu’ici par des dépenses publiques, et l’impact des sanctions commerciales sont deux sources d’incertitude majeures pour la Chine.

La lecture de la semaine

“Pologne, histoire d’une ambition” par Pierre Buhler, éd. Tallandier

Ambassadeur à Varsovie de 2012 à 2016, Pierre Buhler est l’un des meilleurs connaisseurs d’un pays devenu un rempart crucial pour l’Europe face à l’expansionnisme russe. Son histoire, sa complexité, ses rapports difficiles avec ses voisins, à commencer par l’Ukraine (les deux pays partagent plus de 500 kilomètres de frontière): l’ancien diplomate livre avec finesse et précision des clés essentielles à la compréhension de la crise actuelle.

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Thierry Arnaud

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Par Thierry Arnaud

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