Le Premier ministre britannique a su s'imposer comme un relais incontournable entre les deux continents. Mais son habileté diplomatique est fragilisée par une impopularité croissante et une assise politique de plus en plus fragile outre-Manche.
Je suis Thierry Arnaud, éditorialiste à BFMTV, ex-correspondant à New York et Londres, ancien chef du service politique de BFMTV et directeur de la rédaction de BFM Business. Crises géopolitiques, tensions économiques, recompositions du pouvoir… Chaque semaine, je vous propose de décrypter l’actualité internationale.
Donald Trump, et le Premier ministre britannique, Keir Starmer, se tiennent devant des personnes jouant de la cornemuse au Trump International Golf Links le 28 juillet 2025 à Balmedie, Aberdeenshire, Écosse.
(Photo by Andrew Harnik / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP)
“J’ai toujours un grand plaisir à critiquer le gouvernement, mais je suis bien obligé de reconnaître que c’est un sans faute”
Le conservateur James Cleverly, ancien ministre des Affaires étrangères britannique
Bureau ovale de la Maison Blanche, le 27 février 2025. Keir Starmer y est reçu pour la première fois par Donald Trump. À peine installé dans le fauteuil jaune installé à la droite de son hôte, il sort une lettre de sa poche intérieure et la tend au président américain. C’est une invitation à une visite d’État au Royaume-Uni. Elle porte la signature manuscrite du roi Charles III. Ce sera la deuxième visite d’État pour Donald Trump, déjà accueilli par la Reine Elizabeth en 2019. Et cet honneur “est sans précédent”, s’empresse de souligner le Premier ministre britannique. Aux anges, Donald Trump montre aussitôt le courrier aux journalistes et aux caméras présents. “Quelle belle signature !”, s’exclame-t-il.
Keir Starmer avait parfaitement préparé sa visite. Elle va installer une relation privilégiée avec le président américain, qui sera mise à profit dès les heures qui vont suivre, et jusqu’à ces derniers jours à l’occasion de la visite de Donald Trump en Ecosse. Même ses adversaires politiques sont obligés de saluer la prouesse diplomatique. “J’ai toujours un grand plaisir à critiquer le gouvernement, mais je suis bien obligé de reconnaître que c’est un sans faute”, s’incline l’ancien ministre des Affaires étrangères, le Conservateur James Cleverly.
Car Keir Starmer ne s’est pas contenté de créer ce capital de sympathie, il sait aussi comment le mettre à profit. Au lendemain de sa visite dans le bureau ovale, le président ukrainien Volodymyr Zelensky y pénètre à son tour, pour un clash qui fera le tour du monde, et dont on redoute aussitôt qu’il marque une rupture définitive entre les États-Unis et l’Ukraine. Keir Starmer décroche aussitôt son téléphone pour conjurer Donald Trump de revenir à de meilleurs sentiments. Ses efforts incessants au cours des semaines qui suivront (en coordination étroite avec Emmanuel Macron) joueront un rôle décisif dans le retour à une relation apaisée.
Irréprochable dans son soutien à l’Ukraine, Keir Starmer joue aussi avec fermeté le jeu de la défense européenne. Un peu malmenée depuis le Brexit et à l’occasion de l’épisode “AUKUS” sur la fourniture de sous-marins à l’Australie, la coopération franco-britannique en matière de défense a retrouvé sa solidité historique. La récente visite d’État du président français a même été l’occasion de signer une déclaration conjointe actant la coordination des deux arsenaux de dissuasion nucléaire. Mais Keir Starmer a su aussi défendre ses intérêts en décrochant avec les États-Unis de Donald Trump un accord commercial limitant les droits de douane à 10%.
Le Premier ministre britannique est parvenu à maintenir un ton exigeant vis-à-vis d’Israël et à envisager la reconnaissance d’un État palestinien, le rapprochant de nombreux pays européens, et notamment de la France, sans jusqu’ici s’attirer les foudres du président américain. Mais ce pas supplémentaire franchi le 29 juillet l’est avec une certaine ambiguité: la reconnaissance britannique de l’État palestinien interviendra en septembre… sauf si d’ici là interviennent un cessez-le-feu, la fin de la tragédie humanitaire à Gaza et le lancement d’un véritable processus de paix. C’est bien la preuve, disent ses adversaires, que Keir Starmer n’agit que sous la pression et peine toujours à décider une fois pour toutes.
Car si le diplomate n’est pas loin de faire l’unanimité, le Premier ministre de Sa Majesté a perdu le soutien de nombreux Britanniques depuis son triomphe aux élections du 4 juillet 2024, où son parti travailliste a conquis 411 des 650 sièges de la Chambre des Communes, lui donnant une majorité de 174 députés... De 40% d'opinions favorables dans la foulée de cette victoire, Keir Starmer a vu sa popularité dégringoler à moins de 30% dans les dernières enquêtes d’opinion. La pression au sein de son propre camp s’est accentuée au fil des mois. L’ancien leader du Labour, Jeremy Corbyn a lancé la création d’un nouveau parti. Malgré les accusations d’antisémitisme qui lui ont valu sa mise à l’écart et une réputation sulfureuse, il revendique aujourd’hui 500 000 supporters. Si ces chiffres sont invérifiables, son rêve d’une France insoumise version britannique n’en représente pas moins une menace sérieuse pour le Premier ministre.
Accusé de manquer de vision et de personnalité, Keir Starmer a également été affaibli dès les premières semaines de son mandat par une série de révélations sur des cadeaux représentant un total de plus de 100 000 livres - vêtements offerts à son épouse, invitation à des matches de football, la grande passion de ce suppporter d’Arsenal… Sa gestion parfois fluctuante de sujets aussi sensibles que les retraites, la santé ou l’immigration ont accru les doutes à son égard. Pas encore au point de créer péril en la demeure, mais peut-être assez pour commencer à inquiéter ceux qui comptent sur leur allié britannique.
La croissance mondiale tient le coup, si l’on en croit les dernières prévisions du FMI : 3% cette année, 3,1% en 2026, soit respectivement 0,2% et 0,1% de mieux que les estimations du mois d’avril. Le FMI croit en la solidité de la reprise chinoise et considère que l’impact négatif des droits de douane américains sera limité. La croissance de l’Union Européenne est attendue à 1%.
La guerre pèse beaucoup plus lourdement sur l’économie russe que Moscou ne consent à l’avouer publiquement et, au rythme actuel, la Russie ne pourra pas tenir plus de 12 à 18 mois supplémentaires sans se trouver confrontée à une véritable catastrophe économique et financière: telle est la thèse controversée mais argumentée dans cet article par un ancien ambassadeur américain, qui s’exprime dans les colonnes du tabloïde conservateur américain détenu par Rupert Murdoch. Les sanctions supplémentaires dont Donald Trump brandit désormais la menace peuvent, selon l’auteur“, faire aussi mal que les missiles”.
L'Envers du globe prend quelques vacances. En attendant de vous retrouver le jeudi 28 août, je vous souhaite une excellente lecture et un très bel été.
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Thierry Arnaud