Starmer dans la tempête, Farage aux portes de Downing Street

Porté par l’hostilité de plus en plus affichée des Britanniques à l’immigration, Nigel Farage et son Reform Party sont proches de la majorité absolue dans les intentions de vote. Les travaillistes du Premier ministre sont en passe d’être les principales victimes de ce séisme politique annoncé.

L'envers du globe
4 min ⋅ 02/10/2025

Je suis Thierry Arnaud, éditorialiste à BFMTV, ex-correspondant à New York et Londres, ancien chef du service politique de BFMTV et directeur de la rédaction de BFM Business. Crises géopolitiques, tensions économiques, recompositions du pouvoir… Chaque semaine, je vous propose de décrypter l’actualité internationale.

Le Premier ministre britannique Keir Starmer prononce son discours d'ouverture devant les délégués lors du troisième jour de la conférence annuelle du Parti travailliste à Liverpool, dans le nord-ouest de l'Angleterre, le 30 septembre 2025. (Oli Scarff/ AFP)

Au Royaume-Uni, un séisme politique annoncé

“Je suis désolé de dire que Keir Starmer est désormais inapte à être le premier ministre de notre pays
Nigel Farage, le 30 septembre 2025

Keir Starmer peut-il encore sauver son mandat de Premier ministre, son gouvernement et sa majorité à la Chambre des Communes ? À peine plus d’un an après son triomphe aux dernières élections législatives (411 députés sur 650, une majorité de 174 sièges), la question pourrait sembler étrange, ou pour le moins prématurée. Mais la déconfiture d’aujourd’hui est tout aussi spectaculaire que le triomphe d’hier. La popularité du locataire du 10 Downing Street est en chute libre. Et tout aussi fulgurante est l’ascension dans les intentions de vote de celui qui s’impose désormais comme son principal adversaire: Nigel Farage, hier champion du Brexit, aujourd’hui héraut d’une lutte radicale contre l’immigration clandestine

Il n’est pas exagéré de dire que le Royaume-Uni semble à l’aube d’un véritable séisme politique. C’est en tout cas la conclusion que semble imposer la lecture du sondage publié le 26 septembre par l’institut YouGov, mesurant les intentions de vote auprès d’un échantillon de 13.000 Britanniques. Si de nouvelles élections se tenaient en ce début d’automne, le parti travailliste de Keir Starmer perdrait… 267 sièges, soit environ les deux tiers de ses députés. Le Reform Party de Nigel Farage, qui compte cinq élus aujourd’hui, serait en mesure de conquérir 311 sièges ! Ainsi ne serait-il qu’à une infime distance de la majorité absolue. Faute d’avoir su capitaliser sur le Brexit et convaincre sur l’immigration, le parti conservateur sortirait lui aussi laminé d’un tel scrutin, perdant 76 sièges pour ne plus en conserver que 45… Bref, Nigel Farage est en passe de pulvériser le paysage politique britannique. Et il est désormais aux portes de Downing Street.

La “ligne morale” de Keir Starmer

Au moins Keir Starmer a-t-il pris la mesure du défi à relever. Lorsqu’il se présente à la tribune du congrès travailliste de Liverpool, ce mardi 30 septembre, le Premier ministre annonce d’emblée la couleur. Il engage, dit-il, “un combat pour l’âme de notre pays tout aussi important que sa reconstruction après la guerre”. L’inquiétude, voire la colère d’un nombre croissant de Britanniques face à l’absence de maîtrise de l’immigration clandestine sont légitimes, reconnait-il. Mais il existe aussi “une ligne morale” qu’on ne peut pas franchir. “Si vous dites, ou que vous laissez entendre qu’on ne peut pas être anglais ou britannique en raison de la couleur de votre peau, que les familles à l’héritage mêlé vous doivent des explications, que les gens qui vivent ici depuis des générations, ont élevé leurs enfants ici, ont construit leur vie ici, ont travaillé dans nos écoles, dans nos hôpitaux, nos entreprises, si vous dites qu’il faudrait maintenant les expulser, alors entendez-moi, nous vous combattrons de toutes nos forces car vous êtes un ennemi du renouveau national”. Nigel Farage est un “charlatan” qui “n’aime pas la Grande Bretagne, ne croit pas en la Grande Bretagne” et cherche à créer “une compétition des victimes”, ajoute Starmer. La réplique du patron du Reform Party ne se fera pas attendre. Jusqu’ici, explique-t-il, il considérait que Keir Starmer était certes un adversaire politique, mais plutôt “un type sympa”. “Je suis désolé de dire que Keir Starmer est désormais inapte à être le premier ministre de notre pays”, répond désormais Farage.

Keir Starmer sait bien que les applaudissements nourris du congrès de Liverpool tout au long de cette plaidoirie passionnée seront loin de suffire à redresser la situation. Il lui faut avant tout des résultats. Or pour l’année écoulée le 30 juin dernier, plus de 43.000 arrivées clandestines par bateau ont été dénombrées, une augmentation de près de 40% en un an. Le Premier ministre a beau rappeler que les reconduites étaient plus faciles sous le régime européen quand le Royaume Uni était encore membre de l’UE, Nigel Farage parvient jusqu’ici à échapper habilement au bilan du Brexit, pour lequel il a ardemment milité, et qu’une majorité de Britanniques considère désormais comme un échec. Si fiasco il y a, affirme ce dernier, c’est parce que les gouvernements précédents, et singulièrement celui de Boris Johnson, n’ont pas su tirer avantage de cette souveraineté reconquise.

La colère qui gronde

Keir Starmer peut en théorie tenir quatre ans avant de devoir de nouveau affronter des électeurs. Mais il n’est pas certain que la colère qui gronde - et qui s’est manifestée de manière spectaculaire lors de la manifestation du 13 septembre à Londres - ne lui en laisse le temps. Et d’ici là, les prochaines élections locales au Pays de Galles (où les sondages président une percée du parti de Nigel Farage) et en Écosse (où le parti national écossais devrait affirmer sa domination) promettent de bousculer un pouvoir travailliste devenu bien fragile.


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Le chiffre

32.000

C’est le nombre d’emplois détruits par le secteur privé américain au mois de septembre, selon ADP, là où les marchés tablaient sur quelque 50.000 créations. Il s’agit du plus mauvais chiffre depuis 2023. ADP étant un institut privé, Donald Trump n’aura toutefois pas le loisir d’en remercier le responsable, après avoir écarté le mois dernier la directrice du Bureau of Labor Statistics, Erika McEntarfer, après la publication de chiffres sur l’emploi en juillet, moins bons que prévu mais manipulés à des fins politiques selon le président.

La lecture de la semaine

La Mission, l’enquête choc sur la CIA”, Tim Weiner, Robert Laffont

Déjà auteur d’une remarquable histoire de la CIA publiée en 2007 (“Des cendres en héritage”), Tim Weiner récidive avec un nouvel ouvrage tout aussi vivant et remarquablement documenté, qui entraîne le lecteur dans les coulisses de l’agence de renseignement américaine confrontée aux défis du XXIe siècle. Côté pile: des renseignements d’une exceptionnelle richesse et précision sur l’offensive russe à venir en Ukraine, même si la CIA a clairement surestimé les capacités de l’agresseur. Côté face: quelques ratés spectaculaires (notamment en Afghanistan) et des méthodes dont l’auteur n’hésite pas exposer la brutalité crue.

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Thierry Arnaud

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Par Thierry Arnaud

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