Les élections législatives du 26 octobre en Argentine vont décider de la capacité de l'homme à la tronçonneuse à poursuivre ses réformes radicales. Moyennant un remède de cheval, il est parvenu en deux ans à dompter l'inflation et les déficits. Mais le peso vacille malgré le soutien américain et son bilan contient aussi sa part d'ombre.
Je suis Thierry Arnaud, éditorialiste à BFMTV, ex-correspondant à New York et Londres, ancien chef du service politique de BFMTV et directeur de la rédaction de BFM Business. Crises géopolitiques, tensions économiques, recompositions du pouvoir… Chaque semaine, je vous propose de décrypter l’actualité internationale.
Le président argentin Javier Milei chante dans un spectacle avec un groupe lors de la présentation de son livre "La Construccion del Milagro" à la Movistar Arena le 06 octobre 2025 à Buenos Aires, Argentine. (AFP)
«Je suis le général AnCap [anarcho-capitaliste]. Je viens de Liberland, une terre créée sur le principe de l’appropriation originelle de l’homme (…). Ma mission est de botter les fesses des keynésiens et des collectivistes de merde»
Portrait de Javier Milei par… Javier Miliei en décembre 2021
Il est arrivé au pouvoir tronçonneuse en main. On ne peut pas reprocher à Javier Milei de ne pas avoir annoncé - et maintenu - la couleur. “Nous sommes là pour réparer l’économie à sa racine, sans prendre de raccourci ou avancer graduellement et la seule façon d’y arriver, c’est la discipline fiscale, la discipline monétaire et des taux de change”, martelait le président argentin dans une allocution télévisée le 8 août dernier.
Près de deux ans après son arrivée au pouvoir, le 10 décembre 2023, force est de constater que le remède de cheval s’est traduit par une progression spectaculaire vers deux de ces objectifs: l’inflation est passée d’un rythme mensuel de 13% à environ 2% et les finances publiques sont, globalement, de retour à l’équilibre. Mais le moins que l’on puisse dire est que la situation monétaire n’est pas stabilisée. Or, ce dimanche 26 octobre, plus de 35 millions d’Argentins sont appelés aux urnes pour rendre leur verdict sur ce bilan controversé.
Parmi les mesure décrétées dans le cadre de cet état d’urgence, un soutien financier aux familles menacées et un moratoire interdisant leur expulsion pour cause de loyer impayé. Ces élections à mi-mandat ont vocation de désigner la moitié des députés et le tiers des sénateurs des deux chambres du parlement argentin. Pour Javier Milei, le premier de ces deux scrutins s’annonce crucial. Étonnamment, le président argentin est aujourd’hui ultraminoritaire à la “Camara de Diputados” avec tout juste 37 députés sur 257 sièges. Il ne rêve pas nécessairement d’une majorité absolue. Avec un tiers des députés, il disposerait au parlement d’une minorité de blocage qui garantirait la solidité du veto présidentiel, et lui donnerait donc les moyens de continuer à réformer: voilà le véritable objectif. A-t-il ses chances ? Difficile, sinon impossible de livrer un pronostic fiable à l’heure où nous écrivons ces lignes.
La menace d’une nouvelle crise monétaire
Le président argentin aura fait campagne jusqu’au bout avec le sens de la nuance qui le caractérise. “C’est tout ou rien. La stratégie de nos adversaires est de détruire notre projet économique, d’inciter à des manifestations violentes, et de me tuer”, déclarait-il le 3 septembre dernier à la veille d’élections locales (lourdement perdues), mais avec les législatives en ligne de mire. La réthorique de matamore ne peut toutefois suffire à étouffer le principal sujet d’inquiétude pour les Argentins. Une fois de plus, le peso est en danger et la crise monétaire menace. Car Javier Milei a voulu faire d’un “peso fort” la clé de voute de son “policy mix”. Maintenir la devise argentine à un niveau compris en 1000 et 1400 pesos pour un dollar a certes contribué à maîtriser l’inflation, mais à un coût exorbitant sans pour autant rétablir la confiance sur les marchés. À l’approche du scrutin, la chute de la monnaie s’accélère et les Argentins sont de plus en plus nombreux à se tourner de nouveau vers le dollar pour sauver leurs économies.
Donald Trump soutient et menace
Il ne restait plus à Javier Milei qu’à en appeler à son allié numéro un, Donald Trump. Jamais avare d’un compliment dithyrambique à l’endroit du président américain, l’Argentin a donc fait de nouveau le voyage de Washington à la mi-octobre (il s’y est rendu plus d’une douzaine de fois depuis son élection). Bien lui en a pris. La Maison Blanche et le Trésor américain ont validé l’octroi d’un “swap” de 20 milliards de dollars, injecté 750 millions de dollars sur les marchés pour soutenir la devise argentine et sont à l’oeuvre pour convaincre Wall Street de mobiliser 20 milliards de dollars supplémentaires. Donald Trump a néanmoins fixé une limite draconienne à ce soutien massif: si Javier Milei ne gagne pas les élections législatives, a-t-il prévenu, “on se retire”.
Il n’est pas certain que les Argentins cèdent à la pression / 60% d’entre eux ont une opinion négative du président américain, selon les sondages. Les accusations du corruption qui viennent de toucher Karina, la soeur et influente conseillère de Javier Milei, ainsi que l’un de ses proches Jose Luis Espert, candidat à la députation, ne devraient pas servir davantage la cause du président argentin. Les 200;000 emplois perdus témoignent également du fait que le redressement macroéconomique est loin d’avoir profité à tous. Bref, la partie est loin d’être gagnée pour Javier Milei;
C’est le montant du commerce bilatéral entre la Chine et l’Allemagne de janvier à août 2025, et peut-être un moment de bascule historique: la Chine est désormais, devant les États-Unis, le premier partenaire commercial de la République Fédérale. Au cours du seul mois d’août, les exportations allemandes à destination des États-Unis ont chuté de 23,5%.
“Rien d’autre n’a marché, alors Starmer et Reeves disent enfin la vérité sur le Brexit,” The Guardian, 22 octobre 2025
Aux yeux de Rafael Behr, l’auteur de cette tribune dans le quotidien britannique, c’est trop peu et trop tard. Mais cela reste néanmoins bienvenu. Longtemps, les travaillistes britanniques, aujourd’hui au pouvoir mais malmenés et au plus bas dans les sondages, ont tourné autour du pot: les dommages causés par le Brexit ne pouvaient être évoqués que par allusion, ou très indirectement. Car après tout, c’est une majorité de Britanniques, et un bon tiers des électeurs du Labour qui l’ont voulu. Mais une page se tourne. Désormais, le Premier ministre britannique Keir Starmer et sa ministre des Finances Rachel Reeves n’hésitent plus à le dire clairement: oui, le Brexit a bel et bien plombé, durablement, l’économie britannique.
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Thierry Arnaud