Le président américain s'en prend à une Europe "faible" qui "parle mais ne produit rien", inefficace en Ukraine, dont la politique en matière d'immigration est un désastre et qui se fourvoie sur les questions commerciales. Attendus à Bruxelles pour un nouveau sommet, les dirigeants européens sont au défi de produire une réponse convaincante.
Je suis Thierry Arnaud, éditorialiste à BFMTV, ex-correspondant à New York et Londres, ancien chef du service politique de BFMTV et directeur de la rédaction de BFM Business. Crises géopolitiques, tensions économiques, recompositions du pouvoir… Chaque semaine, je vous propose de décrypter l’actualité internationale.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (à gauche), le Premier ministre britannique Keir Starmer (deuxième à gauche), le chancelier allemand Friedrich Merz (deuxième à droite) et le président français Emmanuel Macron (à droite) devant le 10 Downing Street après leurs entretiens dans le centre de Londres le 8 décembre 2025. (Chris J Ratcliffe / AFP)
“Je connais très bien les leaders européens. Je connais ceux qui sont intelligents. Je connais ceux qui sont stupides. Et il y en a qui sont vraiment stupides. Ils ne font pas du bon travail. De bien des manières, l’Europe ne fait pas du bon travail”
Donald Trump, entretien à Politico, 9 décembre 2025
En faisant de Donald Trump la personnalité politique la plus influente en Europe dans le “classement des 28” qu’elle vient de publier, la publication en ligne Politico acte un double paradoxe. D’abord, au risque de rappeler l’évidence, le président des États-Unis n’est pas un dirigeant européen. Ensuite, l’actuel maître de la Maison Blanche accrédite davantage à chaque prise de parole que son rapport au Vieux Continent, à rebours d’une quelconque volonté de diriger l’Europe, se caractérise par deux principes: la prise de distance et l’expression de divergences profondes. Qui oserait contester, pourtant, que jamais depuis plusieurs décennies un président américain n’avait autant pesé sur le dessein de l’Europe et les politiques conduites par ses dirigeants - sur sa sécurité, ses échanges, ses procédures réglementaires ou sa politique migratoire?
Sensible à cette nouvelle distinction, Donald Trump a accordé un long entretien à Politico. La lecture en est édifiante. “Je connais très bien les leaders européens. Je connais ceux qui sont intelligents. Je connais ceux qui sont stupides. Et il y en a qui sont vraiment stupides. Ils ne font pas du bon travail. De bien des manières,
l’Europe ne fait pas du bon travail”, tranche le président américain (seul le président hongrois Viktor Orban trouve grâce à ses yeux). “Si cela continue comme aujourd’hui, (…) à mon avis, beaucoup de ces pays ne seront plus viables”, poursuit-il dans cette même interview. C’est le second camouflet infligé à l’Europe en quelques jours, après la publication par la Maison Blanche le 5 décembre de sa “Stratégie de Sécurité Nationale”. Dans ce document officiel de 33 pages destiné au Congrès, on peut lire que l’Europe sera “méconnaissable dans vingt ans ou moins” car “[son] déclin économique est éclipsé par la perspective réelle et plus abrupte d’un effacement civilisationnel”. Les États-Unis vont donc devoir s’appliquer à “cultiver la résistance à la trajectoire actuelle au sein des nations européennes”.
Au cœur de ce réquisitoire, l’immigration est en effet le sujet numéro un pour Donald Trump. “La politique en matière d’immigration est un désastre, assène-t-il. L’Europe ne sait pas quoi faire. (…) Ils veulent être politiquement corrects, et cela les rend faibles. C’est ça qui les rend faibles”. Le président américain dit ne plus reconnaître Paris ou Londres. S’il n’utilise pas l’expression dans cet entretien, sa conviction n’est pas moins claire: pour lui, le grand remplacement est en marche, inéluctable si l’Europe ne se ressaisit pas rapidement et vigoureusement.
Cette même grille de lecture vaut d’ailleurs pour les questions commerciales, comme pour les réglementations européennes, de nouveau dans la ligne de mire de Washington après l’amende de 120 millions d’euros infligée au réseau X d’Elon Musk par la Commission Européenne le 5 décembre. “Une attaque contre toutes les plateformes de la tech américaine et le peuple américain”, a pesté le secrétaire d’État Marco Rubio. “L’UE devrait soutenir la liberté d’expression plutôt que d’attaquer des entreprises américaines pour des idioties”,a tancé pour sa part le vice-président JD Vance.
Le soutien affiché par l’Europe à l’Ukraine, la volonté de garantir sa sécurité et plus généralement de lui donner les moyens de conclure une paix qui ne soit pas une capitulation: rien de tout cela ne trouve davantage de crédit aux yeux du président américain. De la gesticulation, du bavardage : “Ils parlent, mais ils ne produisent rien. Et la guerre continue”. Ce n’est pas sa guerre, elle n’aurait jamais eu lieu s’il avait été président à la place de Joe Biden, répète-t-il pour la énième fois. Il le dit sans ambages, il faut accepter une victoire russe, car elle est inéluctable, pour une raison simple: “La Russie est un pays beaucoup plus grand (…) plus fort globalement, (…), à un moment, la taille finit par l’emporter.”
Volodymyr Zelensky va donc devoir “acccepter les choses” affirme Donald Trump “parce qu’il est en train de perdre”. Il gagnerait aussi à organiser des élections pour prouver sa légitimité (ce qui n’est pas possible en temps de guerre selon la constitution ukrainienne). On a compris depuis longtemps que reprendre à son compte les éléments de langage russes n’était pas un problème pour le maître de la Maison Blanche.
Confrontés à cette avalanche de critiques et à la menace d’un lâchage programmé, les Européens continuent de multiplier les échanges avec le président ukrainien d’un côté, avec Donald Trump de l’autre. Une mobilisation de tous les instants, mais pour l’instant, aucun résultat tangible. Existe-t-il encore des faits ou des arguments susceptibles de convaincre Donald Trump qu’une capitulation de l’Ukraine serait contraire aux intérêts américains, qui n’aient pas déjà été présentés, pour ne pas dire rabachés? Réunis pour un nouveau sommet à Bruxelles les 18 et 19 décembre, les dirigeants européens ont plus que jamais besoin de se montrer unis et convaincants.
On relèvera au passage que dans son classement des 28 personnalités européennes les plus influentes, Politico place Emmanuel Macron au 19ème rang juste derrière… Gabriel Zucman (Marine Le Pen est quatrième). “Dire que l’étoile européenne d’Emmanuel Macron a pali est un euphémisme,” écrit le magazine dans un article sous-titré “le coq blessé”. Soulignant combien le président français, très affaibli sur la scène politique intérieure, cherche désormais son salut dans une intense activité diplomatique, notamment sur le conflit en Ukraine. Politico conclut par ces mots cinglants: “Que ces initiatives s’avèrent visionnaires ou délirantes, elles montrent un président déterminé à rester dans le jeu - quitte à claudiquer jusqu’au terme de son second désastreux mandat.”
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C’est fait. Pour la première fois de son histoire, l’excédent commercial chinois a dépassé 1000 milliards de dollars sur un an - pour l’année écoulée fin novembre. Le défi à relever pour ses partenaires commerciaux est ainsi plus colossal que jamais. Tous ne sont toutefois pas logés à la même enseigne. Donald Trump recueille les premiers fruits de son bras de fer commercial, tandis que l’Europe apparaît de plus en plus vulnérable. Depuis le début de 2025, les exportations chinoises vers l’Europe ont progressé de 8,1%, tandis que celles vers les Etats-Unis chutaient de 18,9%. A l’occasion de sa visite d’Etat en Chine, Emmanuel Macron a brandi la menace de “mesures fortes”, “comme des droits de douane sur les produits chinois”. Il reste à mettre la menace à exécution.
Source : Le Grand Continent.
Le débat sur l’utilisation des 210 milliards d’avoirs russes gelés pour financer l’effort de guerre ukrainien continue de faire rage en Europe. Dans cette tribune publiée par la Libre Belgique, le consultant Charles de Blondin livre utilement les arguments de ceux qui mettent en garde contre les dangers que créerait un tel précédent. “La Belgique oppose un réalisme juridique salutaire à l'émotion politique ambiante, estime-t-il. La France ferait mieux de s'inspirer de cette politique lucide, plus propice au renforcement du vieux continent face à la menace russe.”
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Thierry Arnaud